La complémentaire santé obligatoire peut être un élément de satisfaction des salariés. Les entreprises l’ont compris et 2018 pourrait voir de nombreuses révisions de contrats
Bien qu’obligatoire depuis le 1er janvier 2016, la complémentaire santé en entreprise et sa généralisation ont été difficiles à mettre en œuvre. Et la concurrence forte. Si certaines entreprises ont proposé des garanties relativement couvrantes, d’autres ont été séduites par des offres à prix cassé. Un dumping qui montre déjà ses limites. Début 2018, le renouvellement des contrats pourrait pousser opérateurs, TPE et PME à renégocier les contrats pour mieux satisfaire les salariés.
Tout s’est passé à la dernière minute. “Les entreprises ont commencé à mettre en place une complémentaire santé pour leurs salariés à partir de mi-novembre 2015 alors que la généralisation était fixée au 1er janvier 2016, observe Mélodie Péglion, responsable du département marketing produits et services chez Humanis. Nous avons fait campagne sur cette obligation que les plus petites entreprises méconnaissaient. Certaines attendaient également de savoir si les branches allaient négocier un accord.” Autre complexité : l’arrivée de la complémentaire s’est télescopée avec la mise à jour du contrat responsable. “Nous avons dû revoir les contrats et adapter les régimes d’assurance, indique Vincent Harel, directeur de l’activité santé et prévoyance de Mercer. Pour bénéficier des exonérations fiscales et sociales, les entreprises doivent respecter certaines obligations. Les dépassements d’honoraires médicaux ne peuvent plus, par exemple, être remboursés au-delà de 100 % de la base de la Sécurité sociale en dépassement d’honoraires.”
5 % des actifs concernés
La réforme de la couverture santé a essentiellement concerné “les très petites entreprises de moins de 20 salariés ainsi que les grandes entreprises qui avaient fait le choix de ne pas couvrir leurs non-cadres”, précise Vincent Harel, soit environ 5 % des salariés actifs. On s’attendait à ce que les entreprises optent majoritairement pour un panier de soins minimum. 18 mois après l’entrée en application de la mesure, les observations sont partagées.
“Sur 30 000 entreprises clientes, une moitié a souscrit à travers des accords de branche (travail temporaire, propreté…) avec des garanties moyennes ou élevées au bénéfice de plus d’un million de salariés, indique Philippe Dabat, directeur général délégué chez AG2R La Mondiale. L’autre moitié a contracté directement pour environ 18 000 salariés. Dans ce cadre, 20 % a choisi le socle minimal proposé dans l’ANI ; 40 % a pris une formule intermédiaire, à 35-40 euros la cotisation mensuelle, avec des remboursements en médecine de ville à hauteur d’1,5 à 2 fois la base de la sécurité sociale et des montants de 150 à 200 euros en prothèses dentaires. 40 % a opté pour un contrat haut de gamme, soit 45-50 euros la cotisation, des remboursements de 350 à 400 euros en dentaire et jusqu’à 300 % du tarif de base pour la médecine de ville et les spécialistes.”
“On s’attendait à ce que les entreprises optent majoritairement pour un panier de soins minimum. 18 mois après l’entrée en application de la mesure, les observations sont partagées”
Même constat chez Malakoff Médéric : “seulement 15 % des entreprises sont restées sur le panier de soins minimal. 35 % ont choisi des formules qui se situaient entre ce minimal et le moyen de gamme, explique Christophe Scherrer, directeur général délégué. Dans le cas des branches (23 au total), les partenaires sociaux ont clairement choisi des options plus généreuses que l’ANI avec plusieurs formules au choix et des options supplémentaires. Différemment de ce que l’on pensait, les chefs d’entreprise concernés (90 % dirigeant moins de 10 salariés, dont 50 % moins de cinq salariés) ont compris l’intérêt de garantir un bon niveau de couverture comme un élément de fidélisation”. Autre exemple, celui du groupe Klésia, rejoint en 2017 par la mutuelle UMC. Sur les 3 000 entreprises qui ont fait appel à sa complémentaire santé, 50 % ont opté pour une couverture allant au-delà des minima conventionnels, notamment lorsque ceux-ci sont peu couvrants.
Côté branches, le cabinet de conseil Adding apporte un bémol : “les branches ont pris le sujet mais a minima”, analyse Jean-Philippe Allory, directeur général et associé. En 2016, 27 accords frais de santé ont été signés par les branches, selon le rapport d’activité de la Comarep (Commission des accords de retraite et de prévoyance). Sept sont au panier de soins, 20 le dépassent. 50 % des accords ont prévu des garanties optionnelles. “La majorité des accords ont prévu un financement à hauteur de 50 % par l’employeur. Deux accords ont prévu un financement de 60 %.”
Une couverture hétérogène
D’une zone à l’autre, les couvertures sont hétérogènes. “Cette variation est notamment liée au fait que les opérateurs se sont appuyés sur des réseaux (courtiers, agences locales et réseaux bancaires) pour présenter leurs produits aux chefs d’entreprise, détaille Mylène Favre-Béguet, associée en charge du pôle prévoyance santé du cabinet d’actuaire conseil Galea & Associés. Les offres pouvaient être très modulaires, avec des options de niveau différent. Certains réseaux sont plus sensibilisés à l’hospitalisation et au dentaire, d’autres sont plus sensibilisés à la médecine courante. Globalement, les dirigeants de TPE ne sont pas spécialistes et sont guidés dans leur choix par les commerciaux.”
Deux ans après l’entrée en vigueur, une certaine insatisfaction se fait ressentir. Albert Lautman, directeur général de la Mutualité française s’en fait l’écho. Il insiste sur “les 400 000 personnes qui ont pu accéder à une complémentaire santé grâce à cette réforme”, mais souligne “l’absence de recul encore sur l’ANI en termes de panier de soins”, notant que “le niveau généralement proposé n’est pas mauvais”. “En revanche, nous notons un sentiment de dégradation de la part de certains salariés dans les courriers qu’ils nous adressent. Ils constatent que les garanties sont inférieures à celles dont ils bénéficiaient dans un contrat individuel, notamment en dentaire et en optique.” De nombreux salariés ont d’ailleurs fait jouer les possibilités de dispense (voir encadré). Environ 40 % dans les TPE, note Humanis, près de 50 % selon Malakoff Médéric.
“De nouveaux acteurs ont profité de la réforme pour attaquer le marché, proposant parfois des cotisations à 12 euros par mois”
En outre, le pourcentage de contrats “à prix cassés” signés par des entreprises n’est pas négligeable. De nouveaux acteurs ont profité de la réforme pour attaquer le marché, proposant parfois des cotisations à 12 euros par mois. “À ce prix, l’opérateur est à perte”, remarque Bruno Liger-Belair, directeur général d’Uniprévoyance. Ce dumping n’a duré qu’un temps. “Les entreprises qui croyaient faire une bonne affaire ont subi des revalorisations tarifaires. Nos courtiers partenaires ont déjà constaté un retour à un assainissement du marché. Les révisions de contrats devraient surtout intervenir en 2018.”
Un marché de renouvellement
Humanis s’y prépare également. “De petites entreprises nous demandent un devis. Elles veulent modifier leurs garanties parce qu’elles sont mécontentes de la hausse de la tarification, mais aussi de l’absence de suivi de leur assureur”, note Mélodie Péglion. L’accent sera mis au niveau des services. Humanis compte renforcer la digitalisation demandée par les salariés et l’entreprise. Objectif : simplifier les démarches et faciliter le quotidien de l’entreprise et du salarié dans la gestion de la couverture santé, “avec un accès à des réseaux de soins et la téléconsultation expérimentale”.
“Les entreprises qui vont observer l’insatisfaction de leurs salariés vont augmenter les garanties”
Roger Mainguy, directeur général d’April Santé Prévoyance et April Entreprise Prévoyance, estime également que “les entreprises qui vont observer l’insatisfaction de leurs salariés vont augmenter les garanties. Nous sommes prêts à nous positionner sur le volume important de renouvellement des contrats avec un service innovant entièrement digital afin de faciliter la souscription pour le client, qui n’est pas un spécialiste de la protection sociale”.
Fidéliser le collaborateur
“La complémentaire santé est un atout à faire valoir auprès des collaborateurs. Certains considèrent que c’est un acquis puisqu’elle est obligatoire, observe Fabrice Coudray, managing director de la division Exécutive Search de Robert Half France. L’employeur peut cependant faire varier le montant de sa prise en charge, soit 50 % de la cotisation soit plus, ainsi que le niveau de garanties. Les plus jeunes ne se préoccupent pas forcément de cette question. Les ressources humaines doivent faire davantage de pédagogie auprès d’eux afin de leur dire qu’ils ne sont pas à l’abri d’un accident. Pour les salariés qui ont des enfants, les économies en lunettes et prothèses dentaires par exemple, peuvent vite être importantes.”
La complémentaire santé obligatoire ne l’est pas pour tous les salariés. Le salarié présent dans l’entreprise au moment de la mise en œuvre d’une complémentaire d’entreprise peut refuser l’adhésion à celle-ci, s’il est déjà couvert individuellement, et ce jusqu’à la date d’échéance annuelle de son contrat. Ce n’est en revanche pas possible pour un salarié qui intègre une société Définition Société :
Une société est une entité dotée d’une personnalité juridique. Elle est créée dans un but marchand. Elle est la propriété collective de ses actionnaires.
Lire la suite disposant déjà d’une complémentaire santé.
- Le salarié est couvert par une autre complémentaire obligatoire. S’il est couvert par le contrat obligatoire de son conjoint, il peut être dispensé d’adhésion au contrat collectif de son entreprise.
- Le contrat a été mis en place unilatéralement par l’entreprise. Les salariés peuvent refuser d’y adhérer (par écrit) si une cotisation leur est demandée, c’est-à-dire que l’entreprise ne prend pas à sa charge 100 % de la cotisation. Ce n’est pas le cas des salariés recrutés par la suite.
- Le salarié et l’apprenti qui sont bénéficiaires d’un CDD ou d’un contrat de mission de moins de 12 mois ou bien le saisonnier, peuvent être dispensés. Si le CDD est au moins égal à 12 mois, le salarié ou l’apprenti peut être dispensé d’affiliation s’il en fait la demande par écrit et qu’il justifie d’une couverture santé complémentaire souscrite par ailleurs.
- Le salarié travaille à temps très partiel, inférieur à un mi-temps. Il peut être dispensé si les conditions suivantes sont remplies : l’acte juridique instituant le dispositif de prévoyance dans l’entreprise prévoit cette faculté ; la cotisation équivaut à au moins 10 % de son salaire.
- Le salarié est multi-employeurs. S’il est déjà couvert par le contrat collectif de l’un de ses employeurs, il peut refuser de souscrire les autres contrats.
- Le salarié, qui bénéficie de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS) ou la CMU-C, peut être dispensé de l’affiliation.
En 2016, le marché de la complémentaire santé a progressé de 1,6 %, à 36,3 milliards d’euros de cotisations, selon les chiffres publiés mi-octobre par le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP), la Fédération française de l’Assurance (FFA) et la Mutualité française. La progression du volume des cotisations provient de celle des contrats collectifs (à 16,9 milliards d’euros en 2016, soit +5,5 % par rapport à 2015). La baisse du volume des cotisations des contrats individuels reste contenue (à 19,4 milliards d’euros, soit -1,6 %).
L’Accord national professionnel (ANI), qui a mis en place la complémentaire santé obligatoire en entreprise, n’a pas entraîné de massive redistribution des cartes, même si “la concurrence a été très forte, note Christophe Scherrer, directeur général délégué de Malakoff Médéric. Avant l’ANI, il y avait en moyenne trois acteurs. Nous sommes passés à neuf”.
Tout confondu (contrats individuels et collectifs), les parts de marché s’élèvent à 51 % pour les mutuelles, 31 % pour les sociétés d’assurance et 18 % pour les institutions de prévoyance. “On pensait que la généralisation de la complémentaire santé en entreprise allait transformer le paysage des opérateurs, avec une chute de la mutualité et un renforcement des institutions de prévoyance, note Jean-Philippe Allory, directeur général et associé du cabinet de conseil Adding. Ce n’est pas le cas. Le secteur de la mutualité reste extrêmement fort. Les assureurs ont vraiment progressé car ils ont de meilleures structures commerciales. Ils travaillent avec leurs salariés ainsi qu’avec des agents généraux et des courtiers.” Mylène Favre-Béguet, associée en charge du pôle prévoyance santé du cabinet d’actuaire conseil Galea & Associés, observe qu’“il existait déjà une dynamique de concentration dans les mutuelles. Cela a accéléré le mouvement, comme l’a fait la mise en œuvre de Solvabilité II. Quant aux institutions de prévoyance, elles étaient déjà présentes et reconnues au niveau de la branche”.
La réforme a concerné environ 5 % des salariés actifs
Environ 40 % des salariés ont fait jouer la dispense dans les TPE (Humanis), près de 50 % selon Malakoff Médéric.
Les contrats collectifs en complémentaire santé ont cependant progressé, à 16,9 MdsE en 2016, soit +5,5 % par rapport à 2015, contre une baisse de 1,6 % pour les cotisations des contrats individuels (à 19,4 MdsE).
Source : CTIP, FFA, FNMF