Marketing sensoriel, mener les clients par le bout du nez

Vue, ouïe, odorat et même toucher : comment charmer les sens pour mieux vendre en boutique

Le nouvel Economiste Le nouvel Economiste | Publié le 25 août 2017
Marketing sensoriel

Couramment pratiqué en point de vente, le marketing sensoriel permet de créer une atmosphère propice aux achats. Il s’appuie désormais sur les nouvelles technologies pour améliorer l’expérience client en magasin, notamment du côté du marketing olfactif, sonore et visuel.


Par Audrey FréelAnnonce légale dans Le nouvel Economiste

Attirer le chaland en titillant ses sens. Tel est l’objectif du merchandising sensoriel. Chacun de nos sens agit de façon plus au moins inconsciente sur notre cerveau. Une odeur de parfum ou une musique peut par exemple raviver des souvenirs et déclencher des émotions. Forts de ce constat, les marketeurs se frottent aux neurosciences depuis une dizaine d’années pour améliorer l’expérience client en boutique. En pratique, cela se traduit par une boutique de prêt-à-porter qui fleure bon la lessive fraîche, de la musique entraînante lorsque l’on fait ses courses, un revêtement au sol moelleux dans une boutique de produits de beauté, des écrans diffusant des vidéos lorsque l’on attend en caisse et des produits à déguster au supermarché. Si le merchandising sensoriel vise les cinq sens, les développements actuels se concentrent particulièrement sur la vue, l’odorat et l’ouïe. “Les magasins travaillent beaucoup sur le visuel car la vue est le sens qui sera sollicité en premier. Viennent ensuite, en support, la musique et le parfum”, confirme Julien Grobert, maître de conférences et responsable du master 1 Marketing vente à l’IAE de Toulouse.

Mener les clients par le bout du nez

Le point commun entre la marque de chaussures Mellow Yellow, le groupe Renault, la banque Crédit Agricole ou encore les parkings Vinci ? Leurs enseignes sont toutes parfumées. Encore marginal il y a une dizaine d’années, le marketing olfactif est aujourd’hui en plein boom. “Après une phase de tâtonnement, le marché ne cesse de mûrir depuis 2006. De grandes marques et enseignes se sont équipées et ont servi de locomotives”, explique Pascal Charlier, directeur général de ScentAir France. Bon nombre de magasins, d’hôtels, d’avions et d’aéroports sont aujourd’hui parfumés. Le must pour les marques ? Créer son logo olfactif, ou logolf, à retrouver – ou plutôt sentir – dans tous les points de vente. “Le logolf est très demandé dans le retail, notamment dans le prêt-à-porter”, précise Pascal Charlier.

Comme toute campagne de marketing, la diffusion de parfum en boutique doit obéir à une stratégie savamment ficelée. “Il est essentiel que les enseignes fassent attention à leur cible et à leur positionnement. Si la clientèle est exclusivement féminine, il faut éviter de choisir un parfum avec des notes boisées, qui rappellent les parfums masculins”, souligne Julien Grobert. Et Pascal Charlier d’ajouter : “dans une pharmacie, nous déconseillons la diffusion de parfums à base d’huile essentielle d’eucalyptus par exemple, qui rappelleraient un univers trop médical. Il est préférable de travailler sur des senteurs qui évoquent le bien-être et que l’on retrouverait plutôt dans les spas. Le client sera ainsi plus mentalement ouvert à acheter des produits de bien-être en plus des médicaments sous ordonnance qu’il sera venu chercher”. Car tel est bien l’objectif de ces fragrances savamment choisies : le recours au parfum placerait surtout le client dans d’excellentes dispositions pour consommer.

“Il est essentiel que les enseignes fassent attention à leur cible et à leur positionnement. Si la clientèle est exclusivement féminine, il faut éviter de choisir un parfum avec des notes boisées, qui rappellent les parfums masculins”

Une étude de BVA datant de 2009, réalisée sur 1 000 personnes dans une enseigne commerciale    Définition Enseigne commerciale :
La loi du 29 décembre 1979 définie l’enseigne commerciale comme « toute inscription, forme ou image apposée sur un immeuble et relative à l’activité qui s’y exerce ».
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, a démontré que les boutiques avec animation olfactive enregistraient une hausse de 38 % des achats d’impulsion, par rapport aux enseignes non parfumées. “Dès lors que l’on diffuse un parfum perçu comme agréable, cela déclenche une émotion positive chez l’individu qui aura tendance à être plus ouvert et plus sensible aux stimuli du lieu, et pourrait rester plus longtemps dans le point de vente”, explique Julien Grobert. Le chercheur a réalisé une thèse portant entre autres sur l’influence de la diffusion de parfums dans les agences du Crédit Agricole Centre-Est. “Nous avons remarqué que la présence de parfum changeait la perception du lieu par les clients. Dans les agences parfumées, ils avaient l’impression que le mobilier était de meilleure qualité que dans les agences non parfumées”, informe-t-il. La mise au point de technologies de diffusion pertinentes explique aussi l’engouement actuel pour le marketing olfactif. Scentair diffuse ses parfums par micronisation, ou nébulisation. “Via cette technique, le parfum liquide est transformé en microgoutellettes qui sont dispersées dans l’atmosphère par ventilateur ou par les flux d’air naturels”, explique Pascal Charlier. Technologie également adoptée par son concurrent Emosens. “C’est ce qui fonctionne le mieux en termes de diffusion et cela permet de parfumer différentes tailles de site. En outre, cette technologie est saine car le parfum ne subit aucun mélange et aucune transformation”, renchérit Stéphane Arfi, directeur général d’Emosens.

Vendre en musique

Musiques, annonces publicitaires, vitrines sonores… La diffusion de son est monnaie courante dans les boutiques. Selon un sondage réalisé pour le compte de la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) en 2013, 71 % des professionnels de la vente proposent de la musique dans leur magasin. Et pour cause : le marketing sonore aurait des effets positifs sur l’humeur aussi bien des clients que des employés. Il réduirait également, selon l’étude, de près de 10 % l’impression d’attente et de temps passé en magasin. Plus intéressant encore : la musique influencerait la courbe des ventes, avec un effet amortisseur sur la baisse du chiffre d’affaires en grande surface alimentaire. “Nous avons constaté une hausse de 17 % du chiffre d’affaires dans les points de vente où nous avons développé une radio magasin”, affirme de son côté Alain Goudey, directeur associé de l’agence de communication Atoomedia et enseignant-chercheur spécialisé en marketing sensoriel à la Neoma Business School.

“Nous avons constaté une hausse de 17 % du chiffre d’affaires dans les points de vente où nous avons développé une radio magasin”

De plus en plus de groupes adoptent le concept de radio d’enseigne dans leur boutique. Ce dernier a pour objectif d’améliorer l’expérience client par des musiques d’ambiance adaptées au secteur, à la période de l’année et aux moments de la journée. Du contenu personnalisé et promotionnel peut également y être diffusé. Certaines enseignes jouent également sur le côté ludique du marketing sonore. En 2014, Monoprix a ainsi substitué, le temps d’une journée, le bip du code-barres en sons amusants (“meuh” pour le lait, “cot-cot” pour les œufs, etc.) dans l’un de ses magasins parisiens. Bien qu’éphémère, cette expérience sonore a rencontré un franc succès et a été largement relayée sur les réseaux sociaux. Dans certains cas, le silence reste cependant de mise. C’est ce qu’a expérimenté Julien Grobert dans les agences Crédit Agricole Centre-est lors de sa thèse. “Nous avons diffusé deux types de musique dans les agences durant le rendez-vous entre les clients et le conseiller. Quelle que soit la mélodie diffusée, les clients étaient surpris et allouaient beaucoup de ressources cognitives sur cet élément sonore. Au final, les clients exposés à de la musique estimaient que la qualité du conseil était moins efficace que ceux ayant été accueillis dans des agences dépourvues d’éléments sonores.” Ainsi la banque a-t-elle préféré s’en tenir aux parfums.

La PLV high-tech

Du côté du merchandising visuel, les nouvelles technologies ont également permis une petite révolution : la digitalisation des affichages. “Les solutions d’affichage dynamique ont émergé dans les points de vente il y a une dizaine d’années. Depuis deux ans, elles occupent une place très importante dans le retail”, raconte Tristan Dupont, directeur commercial de la société Crown Heights, agence de communication spécialisée dans l’affichage dynamique. Elles permettent de diffuser sur des écrans différents types de contenus mixant vidéo, son, animation, image et texte. Ce qui les rend nettement plus attrayantes. Selon une étude Ipsos de 2009, 75 % des passants se souviennent d’un affichage dynamique, contre 44 % pour un affichage statique.

“Les solutions d’affichage dynamique ont émergé dans les points de vente il y a une dizaine d’années. Depuis deux ans, elles occupent une place très importante dans le retail”

En dehors de donner un coup de jeune à la PLV (publicité sur lieu de vente), ce type d’affichage peut améliorer l’expérience client en permettant une meilleure orientation des clients vers un vendeur ou bien en réduisant la sensation d’attente en caisse. “Les solutions d’affichage offrent de nombreuses fonctionnalités. Les écrans peuvent être pilotés à distance via une interface web. Il existe des solutions avec reconnaissance faciale qui permettent de déterminer des informations sur les clients, comme l’âge ou le sexe”, ajoute Tristan Dupont. Crown Heights a notamment épaulé L’Oréal Professionnel en 2015 pour la mise en place du concept Emotion dans les salons de coiffure. Il vise à apporter une expérience émotionnelle aux clients en s’appuyant notamment sur une vitrine avec un écran connecté diffusant les dernières tendances en matière de coupe et coloration.

La virtualisation des boutiques est en route. Une réalité de marché à laquelle le marketing sensoriel s’adapte lui aussi.

Quand le magasin vient chez le client
Si le marketing sensoriel occupe une place significative dans les points de vente, il se développe également sur la toile. Sur le digital, le regard reste le principal point d’ancrage. Les efforts se déploient actuellement sur web-marketing visuel : sites de e-commerce pensés de façon ergonomique pour faciliter et rendre plus agréable l’expérience utilisateur, et mise en place de stratégies de contenus visuels (vidéos, photos, infographies, gif, etc.). Le son joue aussi un rôle important et reste essentiellement utilisé pour accompagner des vidéos ou des sites web.

Avec l’émergence des technologies intelligentes et connectées, le webmarketing pourrait faire un bond et s’ouvrir aux autres sens. À commencer par l’odorat. “Certaines entreprises travaillent sur le fait de recréer les odeurs et les diffuser via des petites clés USB”, explique Julien Grobert, maître de conférences à l’IAE de Toulouse. À l’instar de la société Exhalia qui développe, entre autres, des clés USB olfactives et des diffuseurs USB pour jeux vidéo. Pour le moment, ces projets visent essentiellement le monde du cinéma et des jeux vidéo. Mais le e-commerce pourrait lui aussi surfer sur ce créneau pour parfaire son expérience utilisateur d’ici quelques années. Reste encore à peaufiner ces technologies de réalités virtuelles.

Du côté du toucher, les sites de vente pourraient là encore s’inspirer de la créativité en vigueur dans l’univers du jeu vidéo. “Les combinaisons haptiques se développent pour permettre aux joueurs de ressentir le froid ou encore la pluie. Ces technologies pourraient être développées au niveau du e-commerce pour recréer à distance, par exemple, le toucher d’un sac à main ou d’un canapé. Ainsi, le magasin physique viendra chez l’internaute grâce aux outils digitaux”, avance Julien Grobert. “Les dispositifs haptiques actuels ont encore du mal à restituer une sensation très fine de toucher. Mais ces technologies commencent juste à apparaître et elles vont clairement se développer”, ajoute Alain Goudey, directeur associé d’Atoomedia.

Le tourisme surfe sur le marketing sensoriel
Le tourisme est un secteur bien ancré dans le marketing sensoriel. L’hôtellerie, les agences de voyages, les clubs de vacances et même les territoires l’ont adopté depuis plusieurs années pour promouvoir leurs activités. “Nous avons équipé le Club Med au Portugal avec notre solution d’affichage dynamique, qui permet de communiquer sur les activités et les offres du groupe en temps réel”, indique Tristan Dupont, directeur commercial chez Crown Heights. “Nous travaillons sur la diffusion de contenus permettant de valoriser le patrimoine architectural et culturel local en agence de voyages”, explique pour sa part Alain Goudey, directeur associé d’Atoomedia.

Du côté des senteurs, le marketing olfactif a pignon sur rue dans l’hôtellerie, et bon nombre de chaînes disposent de leur propre logo olfactif. “Le logolf permet au client qui voyage beaucoup de retrouver la même ambiance olfactive, qu’il se trouve dans un hôtel à Singapour ou à Dubaï. Cela lui apportera une sensation familière”, souligne Pascal Charlier, directeur général de ScentAir France. Les territoires surfent également sur cette vague. À l’instar d’Only Lyon, la marque de Lyon, qui a demandé à Emosens de créer son parfum il y a quatre ans. “L’idée est de diffuser le parfum dans certaines zones touristiques de la ville : dans les hôtels, les musées, les agences Keolis ou les gares”, détaille Stéphane Arfi, directeur général d’Emosens. En dehors de l’Hexagone, la Lituanie dispose également de sa propre signature olfactive depuis 2013.

71 % des professionnels de la vente diffusent de la musique dans leur magasin.
Source : sondage Sacem, Spré et Mood Media de février 2014

+38 % d’achats impulsion observés dans les boutiques avec animation olfactive.
Source : enquête BVA de 2009

75 % des passants se souviennent d’un affichage dynamique, contre 44 % pour un affichage statique.
Source : étude Ipsos de 2009

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