Critères d’éligibilité, contraintes et coûts de deux régimes aux avantages bien différents
Si le système de l’auto-entrepreneuriat est assez largement connu, c’est moins le cas de celui du portage salarial. Pour le travailleur indépendant, le choix entre ces deux régimes se fera selon le type d’activité – puisque l’un et l’autre excluent certaines pratiques –, mais aussi le volume d’activité – l’un impliquant un plafond de chiffre d’affaires, et l’autre un plancher –. Enfin, et surtout, les deux statuts entraînent des coûts respectifs bien différents. Car la tranquillité procurée par le portage salarial – protection sociale, assurance chômage, gestion administrative – a bel et bien un prix.
“Les professionnels qui optent pour le portage salarial sont des personnes souvent lassées du salariat classique et des contraintes qui pouvaient leur être imposées. Ils ont souhaité alors devenir indépendants tout en gardant une certaine sécurité”, analyse Mélanie Lecœur, directrice d’Advizium, une société de portage salarial. Dans ce système, c’est bien la société de portage qui va gérer pour les salariés “portés” l’ensemble des aspects administratifs. Le professionnel n’a pas de comptabilité à tenir, il n’a pas de factures à émettre, il n’a pas de contrats de prestation à délivrer à son client, il n’a pas à suivre le règlement et le recouvrement des factures, ni les relances. Il s’agit donc d’une relation tripartite entre la société de portage, le salarié porté et la société cliente du porté.
C’est la société de portage qui va émettre le contrat de prestation vers le client du salarié porté. “Nous allons également émettre les factures et récupérer les règlements, voire le cas échéant lancer les procédures de recouvrement”, poursuit Mélanie Lecœur. La société de portage salarial offre donc cet avantage majeur de décharger le consultant de tous les aspects administratifs, permettant à celui-ci de se consacrer à 100 % au développement de son activité. De quoi donc gagner un temps précieux, notamment pour chercher des missions. En effet, les sociétés de portage n’ont pas vocation à trouver du travail au salarié porté, ce dernier étant autonome.
De son côté, le principal intérêt de l’auto-entrepreneuriat est la relative simplicité des démarches d’inscription, des charges réduites, et une franchise de TVA. Mais le régime est soumis à volume d’activité limité. En 2017, les plafonds pour les auto-entrepreneurs ont timidement progressé pour s’établir à 82 800 euros pour les activités d’achat-revente, et à 33 200 euros pour les services. Précisons que l’achat-revente concerne notamment tous les commerçants et le secteur de la restauration.
“La société de portage salarial offre cet avantage majeur de décharger le consultant de tous les aspects administratifs”
Lorsque l’auto-entrepreneur dépasse le plafond, plusieurs possibilités s’offrent à lui. Il peut par exemple cumuler son statut d’auto-entrepreneur avec du portage salarial pour la partie de son activité dépassant ce plafond. Une autre solution est de passer au régime réel, donc de droit commun. Dans ce cadre, le professionnel reste inscrit au RSI pour la protection sociale, et il est taxé par l’impôt sur le revenu. La troisième solution est de passer en société. Il est alors possible de quitter le RSI en devenant président de SAS. Rappelons que l’auto-entrepreneur doit lui-même établir ses contrats de prestation, tenir sa comptabilité, procéder aux déclarations Urssaf.
Des avantages qui ont un coût
La question du coût est, bien entendu, à prendre en considération. Mais elle ne doit pas à elle seule être déterminante. Le coût du portage lui-même représente environ 10 % du montant facturé ; il s’agit du montant qui revient à la société de portage en rémunération de ses services. Un coût auquel il faut bien entendu ajouter l’ensemble des charges patronales et salariales. “Au final, il reste pour le professionnel environ 50 % de la somme qu’il aura facturée, reprend Hubert Camus, président du syndicat majoritaire Peps (Professionnels de l’emploi en portage salarial). C’est un choix. Celui qui souhaite payer le minimum de cotisations et ne bénéficier que du minimum de protection sociale ne va pas se tourner vers le portage salarial.”
“Entre les deux statuts, chacun en a pour son argent. L’auto-entrepreneur est moins couvert, mais cela lui coûte moins cher”
La rémunération de la société de portage salarial se fait par l’application d’un taux de gestion qui représente généralement de 8 à 10 % du chiffre d’affaires. Certaines sociétés peuvent demander jusqu’à 15 %. D’autres pratiquent un taux dégressif en fonction du chiffre d’affaires, pouvant descendre jusqu’à 5 %.
“Entre les deux statuts, chacun en a pour son argent. L’auto-entrepreneur est moins couvert, mais cela lui coûte moins cher. À côté de cela, il aura une petite retraite et pas de protection chômage. Le porté cotise davantage, et donc il est mieux protégé. Sur ces aspects, le système est cohérent”, affirme Grégoire Leclerc, président de la Fédération des auto-entrepreneurs. Les charges de l’auto-entrepreneur représentent 22 à 25 % du montant facturé à ses clients. Bref, le portage est plus cher, mais il apporte une vraie valeur ajoutée par rapport aux autres statuts. Le porté cotise au régime général de la sécurité sociale et à Pôle emploi. Il peut donc prétendre aux indemnités journalières à la fin de son contrat en cas d’inactivité. Entre deux missions, le porté peut avoir accès à l’assurance chômage, ce que ne permet pas le statut d’auto-entrepreneur.
Un choix rationnel
Le portage salarial et l’auto-entrepreneuriat ciblent-ils les mêmes personnes ? “Le professionnel qui hésite sur son statut doit se poser trois questions : est-il prêt à supporter une certaine charge administrative et à traiter des factures ? Quelle est son activité et celle-ci est-elle adaptée au portage salarial ?”, souligne Grégoire Leclerc. Les activités qui peuvent s’adapter au cadre du portage salarial sont essentiellement en B2B. À l’inverse, pour les métiers orientés vers les services aux particuliers – jardinier, coach sportif ou encore nutritionniste, etc. –, le professionnel devra alors plutôt opter pour l’auto-entrepreneuriat. Le professionnel doit aussi s’interroger sur le volume d’activité attendu. À partir de 25 000 à 30 000 euros de chiffre d’affaires annuel, il devient intéressant de se tourner vers le portage salarial.
“Le professionnel doit aussi s’interroger sur le volume d’activité attendu”
Il faut bien souligner que le portage salarial est destiné à des professionnels autonomes, qualifiés (niveau III au minimum) et experts dans leur domaine. Concrètement, ceux-ci sont en mesure rechercher eux-mêmes les clients, puis de discuter des conditions de prix et d’exécution de la mission. Dès lors, la loi a fixé un niveau de salaire minimum (2 000 euros net mensuels) qui témoigne d’une certaine expertise pour un travailleur indépendant. Ce niveau minimal permet également de ne pas cannibaliser d’autres formes d’emploi comme l’intérim. Ce type de problématique ne se pose pas pour l’auto-entrepreneur que la législation n’oblige pas à réaliser un seuil minimal de chiffre d’affaires.
Le portage salarial s’adresse finalement à toutes les personnes possédant une expertise particulière, un certain niveau de qualification, et souhaitant se mettre à leur compte. Ce profil est par exemple assez répandu dans le secteur des prestations numériques et informatiques.
Derrière les différents chiffres, seuils et contraintes, c’est donc en se livrant à une introspection ainsi qu’à un bilan objectif de sa situation professionnelle que le travailleur indépendant sera en mesure de choisir entre portage salarial ou auto-entrepreneuriat.
Deux régimes qui bougent
Si le système du portage salarial a récemment gagné en visibilité et en légitimité, grâce notamment à la convention collective (voir encadré) qui a été signée en mars dernier à l’unanimité des organisations syndicales, c’est au tour de l’auto-entrepreneuriat de devoir évoluer afin de conserver une certaine attractivité. “Je suis pour la réforme du RSI, mais je pense qu’il faut maintenir cette complémentarité intelligente entre l’auto-entrepreneuriat et le portage salarial. Pour ma part, je plaide pour une réforme d’ampleur. Il faut augmenter les deux plafonds du régime de l’auto-entrepreneur à 50 000 et 100 000 euros afin d’y faire entrer davantage de professionnels, comme, par exemple, des artisans qui ne peuvent pas accéder au régime, car ils réalisent trop de chiffre d’affaires”, assure le président de la Fédération des auto-entrepreneurs.
“C’est au tour de l’auto-entrepreneuriat de devoir évoluer afin de conserver une certaine attractivité”
Selon ce dernier, il faut également simplifier l’accès à ce régime, qui a été beaucoup complexifié au cours des 5 dernières années. Il plaide notamment pour la suppression du “stage de préparation à l’installation” obligatoire pour les activités artisanales des auto-entrepreneurs. Aujourd’hui, certains métiers sont exclus de ce statut, il est souhaitable, selon Grégoire Leclerc, de revenir sur ces dispositions.
L’encadrement légal du portage salarial semble enfin achevé. D’un point de vue législatif, l’essentiel est fait : une ordonnance gouvernementale et son décret ont été adoptés en 2015, une ratification dans le cadre de la loi Travail a été opérée en août 2016 et une convention collective vient d’être adoptée en mars dernier. “Cette signature à l’unanimité des organisations syndicales est une étape historique. Elle vise à donner une réglementation plus précise sur le fonctionnement du portage salarial. Il s’agit de l’aboutissement d’une dizaine d’années de négociations. Il a fallu convaincre et expliciter ce qu’est le portage salarial”, explique Hubert Camus, président du syndicat majoritaire Peps (Professionnels de l’emploi en portage salarial). “Nous serons très vigilants à ce que des mesures concernant d’autres secteurs d’activité ne viennent pas amoindrir l’intérêt du système du portage salarial”, souligne ce dernier. À titre d’exemple, si le statut d’auto-entrepreneur obtient une véritable protection sociale pour des charges d’un maximum 25 %, il pourrait s’agir d’une distorsion de concurrence entre les deux statuts.
Cette convention a réaffirmé les éléments contenus dans l’ordonnance gouvernementale d’avril 2015. Les grandes avancées portent sur la formation, l’accompagnement et sur le niveau de rémunération fixé à 2 000 euros mensuel minimum pour pouvoir intégrer le système du portage salarial. “Au travers de cette nouvelle convention, nous allons surcotiser au niveau de la formation professionnelle à hauteur de 1,6 %, dont 0,3 % sur un fonds mutualisé, ce qui permettra à des portés d’être accompagnés et de se trouver dans un cycle d’évolution et de gestion de leur parcours professionnel au même titre que l’ensemble des autres salariés”, précise Hubert Camus à propos du volet formation de cette nouvelle convention. Des négociations vont prochainement s’ouvrir pour aboutir à un accord de méthode qui va définir concrètement l’ensemble des points contenus au sein de cette nouvelle convention collective.
L’un des aspects fondamentaux du système du portage salarial est que le porté conserve son statut de salarié et, dès lors, est affilié au régime général. À l’inverse, l’auto-entrepreneur n’est pas salarié, donc il n’est pas soumis au régime général de la sécurité sociale mais au RSI (régime social des indépendants), un organisme de droit privé ayant pour mission d’assurer la protection sociale obligatoire des travailleurs indépendants. La retraite est quant à elle gérée par la Cipav.wLe système de l’auto-entrepreneuriat est simple et bien pensé, mais il ne génère aucune protection sociale. Ces professionnels qui demeurent sous le statut d’auto-entrepreneur durant de nombreuses années risquent d’avoir un vrai souci de niveau de retraite”, estime Hubert Camus, le président du Peps.
“L’auto-entrepreneur est au RSI sans possibilité de choix. Il y a deux cas. Certains cumulent avec une autre activité salariée ; ceux-ci cotisent au RSI, mais ils bénéficient du régime général. Les autres dépendent du RSI en matière de protection sociale avec les différents inconvénients du système, notamment un niveau de protection assez moyen”, précise Grégoire Leclerc, président de la Fédération des auto-entrepreneurs. Bien évidemment, l’auto-entrepreneur ne bénéficie pas de l’assurance chômage à l’inverse du salarié en portage salarial.
Il est fort probable qu’avec l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, le système du RSI va profondément évoluer, voire disparaître. “Mais avant une grande réforme ou la suppression du RSI, il faudrait déjà que l’ensemble des indépendants puisse liquider leurs cotisations sociales tous les trimestres. Aujourd’hui, elles sont recalculées d’une année sur l’autre. Donc, les professionnels payent de façon anticipée et doivent attendre une année pour que l’administration du RSI les informe du véritable montant qu’ils doivent acquitter. Ceci n’est plus acceptable dans un monde professionnel qui va très vite, où les trésoreries sont en flux tendus et les activités fluctuent énormément”, explique Grégoire Leclerc.
Chiffres Clés
- La France compte aujourd’hui 1,3 million d’auto-entrepreneurs.
- Chaque année, environ 220 000 personnes choisissent ce statut et 150 000 sont radiées, car n’ayant pas déclaré de chiffre d’affaires.
- 70 000 professionnels exercent en portage salarial à fin 2016, soit une progression de 15 % par an depuis 2008.
- Le prévisionnel du Peps pour 2020 est de 130 000 portés.
- Le chiffre d’affaires global du secteur est de 700 Me en 2016.
Source : Peps